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Vanessa ­Springora : "Le livre 'Le Consentement' m'a permis de me réinventer" - Le Journal du dimanche

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Elle nous rejoint ­auréolée d'un sourire et d'un récent prix des lectrices de Elle, comme montée sur un petit nuage traversant le ciel parisien par temps clair. Vanessa Springora incarne à elle seule la renaissance. L'accueil reçu par son Consentement* l'a comme libérée. On connaît l'histoire : elle a publié en janvier le récit terrible d'une emprise, celle qu'un écrivain charismatique et méphistophélique, Gabriel Matzneff, exerça aux dépens d'une fille de 14 ans un peu perdue – comme on l'est à cet âge quand on a vu sa famille se désunir –, elle-même. Cela aurait pu la précipiter dans les ténèbres, la vouer à une vie médicamentée, la dégoûter des livres qui la passionnent depuis l'enfance…

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Or, à 48 ans, Vanessa Springora est depuis l'an dernier directrice des éditions Julliard – et à chaque mention du nom prestigieux de la maison d'édition qui vit débuter Françoise ­Sagan, et où elle travaille depuis quatorze ans, son regard s'éclaire. Elle est aussi, et maintenant pour toujours, cette écrivaine qui, en cherchant à raconter son histoire au plus près de la vérité, et en élaborant pour cela une langue remarquable de précision et de retenue, aura obligé le milieu littéraire à prendre conscience de l'invraisemblable complaisance dont a bénéficié Matzneff. "L'archange aux pieds fourchus", magnétique amateur de jeunes gens, est devenu un paria, l'ensemble de ses livres a été retiré de nombreuses librairies – ce que Vanessa ­Springora n'a jamais demandé – tandis que Le Consentement atteignait le sommet des palmarès…

Changer n'est pas renoncer

"Le Consentement m'a permis de me réinventer, explique-t‑elle depuis la terrasse d'un café perché en haut d'un square pentu du 19e arrondissement parisien. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'un chapitre s'est refermé, ce qui me permet d'aller vers autre chose, mais qui sera toujours moi. Un autre chapitre de mon existence."

Vanessa Springora ne croit pas aux portes que l'on clôt définitivement sur des époques, pas davantage au passé qu'on enfouit pour toujours. Pour elle, changer n'est pas renoncer à une part de soi, ou, encore moins, se trahir : "Quand Emmanuel ­Macron nous encourage à nous réinventer, ça me rappelle mes cours de philo, en prépa, et cette phrase de Spinoza qui nous dit qu'il faut persévérer dans son être. J'aime beaucoup cette idée : il faut suivre ce que l'on est – car on ne peut nier sa nature profonde. Mais en même temps, cette idée de se réinventer en permanence me paraît essentielle. Elle met en jeu la notion de liberté, or je trouve ­important qu'à tout moment dans sa vie on puisse se dire que rien n'est joué. Comme l'écrit Gide, "il faut suivre sa pente pourvu que ce soit en montant'. C'est‑à-dire qu'il faut rester soi-même en se gardant la possibilité de progresser, d'aller vers un idéal de soi, un horizon qu'on projette en avant."

Julliard a été submergée de textes écrits pendant le confinement

Cet été, l'horizon de Vanessa Springora aura les couleurs lessivées par la lumière du sud de la France, où elle rêve de vivre un jour, et comme bande-son le chant des cigales. Elle s'y rendra en famille, lestée de nombreux manuscrits – comme toutes les maisons d'édition, Julliard a été submergée de textes écrits pendant le confinement ; sans compter que le départ de Betty Mialet et de ­Bernard ­Barrault, ses prédécesseurs, lui a laissé un catalogue à reconstruire. Elle y joindra deux livres conseillés par ses auteurs : les œuvres de l'écrivain et militant anticolonialiste Frantz Fanon, dont les réflexions trouvent de vives résonances avec les débats identitaires d'aujourd'hui, et la ­célèbre "trilogie de béton", du grand romancier d'anticipation britannique J.G. Ballard. Deux lectures hors saison.

Pour les grands lecteurs, il est commun d'associer à l'été l'univers d'un livre, et de retourner prendre le soleil dans ses pages. Pour ­Vanessa Springora, c'est Fitzgerald, qui, dans Tendre est la nuit, a su le mieux capturer cet éclat désiré : "Toute mon enfance, je suis allée en vacances chez mes grands-parents au Lavandou, et je ne connaissais donc de la Côte d'Azur que le côté bétonné. Dans ce livre, j'ai découvert qu'il avait existé une Côte d'Azur complètement vierge, sans foule, avec un arrière-pays très proche. Pour moi, c'est vraiment le roman de l'été. Grâce à lui, j'ai le souvenir d'avoir entrevu un autre visage de la Côte d'Azur avant le désastre. Et en même temps, ce livre est profondément mélancolique. Ce qu'il raconte est une histoire d'amour tragique… mais il contient aussi de magnifiques scènes de plage."

L'amour véritable

Il est émouvant d'entendre Vanessa Springora parler d'amour, elle qui en a vécu la caricature dévoyée à un âge et dans un contexte qui la laissaient sans défense. Émouvant de l'entendre mentionner son compagnon médecin – qui l'a encouragée à écrire son histoire –, son fils adolescent, sa belle-fille, qui sont autant de témoins et sans doute d'acteurs de sa renaissance. Ou de l'écouter opposer "l'amour solaire" – oui, c'est en ces termes que Gabriel Matzneff évoque "leur histoire" dans ses journaux – à l'amour véritable.

"Il parlait d''amour solaire' parce que, dans son imagerie chrétienne, il associait ça à la rédemption. Disons que je crois en l'amour solaire, mais en littérature : il existe des couples solaires comme Ariane et Solal dans Belle du Seigneur ou comme Zelda et Scott Fitzgerald ; mais leurs histoires ont toujours une issue tragique. Même si je crois qu'il n'y a rien de mieux que d'aimer et d'être aimé, le terme 'solaire' ne fait pas partie de mon vocabulaire : il y a là une mystique à laquelle je ne crois pas. Parce qu'au contraire l'amour véritable se tisse avec des choses très quotidiennes et matérielles. Ce n'est pas être toujours au meilleur de soi et chercher en permanence à attiser le désir. C'est aimer et être aimée comme on est, dans les pires moments, au réveil, pas maquillée…"

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C'est très difficile d'écrire sur ce qui va bien

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Alors pourquoi trouve-t‑on si peu de livres pour raconter ce genre d'amour? "Parce que la littérature commence avec le drame, le conflit. C'est très difficile d'écrire sur ce qui va bien. Pour moi, le plus beau livre sur cet amour-là est Lettre à D." Ce texte que le philosophe André Gorz écrivit, à 84 ans, à l'attention de son épouse, Dorine, âgée de 83 ans et atteinte d'une maladie dégénérative. "Ils se sont rencontrés très jeunes et le livre raconte leurs décennies de vie commune et l'amour qu'il a pour cette femme, et la façon dont il est retombé amoureux d'elle encore et encore, pendant toutes ces années. Ça existe!"

À la fin du livre, André Gorz écrit : "Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre. Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous avions une ­seconde vie, nous voudrions la passer ­ensemble." Quelques mois après, ils se sont suicidés tous les deux… "Ils ont décidé de partir ensemble, complète Vanessa Springora. Et c'est là, pour moi, qu'on accède au sublime. Pas le sublime de pacotille ou superficiel. Passer soixante ans de sa vie ensemble et ne pas vouloir se séparer jusque dans la mort, ne pas supporter l'idée de continuer l'un sans l'autre, c'est ça qui est sublime. Ce choix n'est pas du tout tragique : quand on termine le livre, on voit bien qu'ils n'avaient pas d'autre issue. Comme deux arbres qui auraient pris mutuellement ­racine et ne pourraient vivre séparés."

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L'été idéal, pour moi, ce serait ne rien faire, mais avec la possibilité de tout faire

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Quittons l'hiver de la vie des amoureux et retournons nous baigner dans les mythologies estivales – celles qui voient dans les vacances l'occasion de "prendre du recul avec sa vie" et de "renouer avec son vrai soi", et ainsi de se "ressourcer". Quelle vérité, dans ces injonctions contradictoires? "L'été, surtout aujourd'hui, est associé au corps. Pour moi, les grandes vacances sont le moment où l'on reprend contact avec son corps, où l'on se retrouve coupés de notre fonction économique, où l'on peut tout à coup revenir, sur un temps plus long, à un autre sens de la vie. Ça me paraît encore plus valable après le confinement, où les gens se sont retrouvés désœuvrés et où ils ont expérimenté le fait de vivre déconnectés de leur fonction économique, mais à l'intérieur. Après cette année qui nous a laissés exsangues, il me semble important que nous profitions particulièrement de cet été. Pour retrouver la lumière."

Que serait un été parfait, selon elle? "Il y a un mot italien que j'adore : 'farniente'! Ne rien faire. L'été idéal, pour moi, ce serait ne rien faire, mais avec la possibilité de tout faire! Que tout soit gratuit. Lire sans raison professionnelle. Flâner sans destination. Nager dans la Méditerranée – l'été, je renais dans l'eau. Revenir à la gratuité des choses et à une forme de poésie de l'être. Être là, mais sans raison particulière!"

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Ce livre était une entreprise d'honnêteté vis‑à-vis de moi-même

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Las. Il suffit d'entendre Vanessa Springora parler du premier roman qu'elle publiera à la rentrée (Bénie soit Sixtine, de Maylis Adhémar) ou de Yasmina Khadra et de Philippe Besson – deux grands noms qui ont choisi de lui faire confiance et de rester chez Julliard – pour voir que, comme chez tous les passionnés, son métier et sa vie se mêlent sans doute jusqu'à l'indiscernable. L'été idéal attendra, mais ce n'est pas grave. Car Vanessa Springora a trouvé dans l'écriture du Consentement, et dans la psychanalyse, à laquelle elle rend un hommage appuyé, une forme de sagesse.

"Ce livre était une entreprise d'honnêteté vis‑à-vis de moi-même, puisque c'était l'occasion de me réapproprier mon histoire. Il fallait donc que j'essaie de mettre les mots les plus justes pour moi puisque, pour l'avoir vécu dans ma chair, je sais ce que c'est quand un livre grave dans le marbre des événements. Je voulais pouvoir regarder ce livre en face plus tard et m'y reconnaître quelle que soit l'époque."

Chercher une vérité plutôt que l'accomplissement d'une vengeance. Vouloir se reconquérir plutôt que d'écraser celui qui l'a déloyalement conquise. Dire une injustice sans s'ériger en passionaria. Garder, au plus fort du scandale, le sens de la mesure, et ­plaider pour que les livres de ­Matzneff restent en librairie, comme témoins d'une époque. Pour que Vanessa ­Springora renaisse à elle-même, il a fallu tout cela.

* Le Consentement, Vanessa Springora, éd. Grasset, 216 pages., 18 euros.




July 31, 2020 at 12:00PM
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